Première chasse de Rostan

Rostan humait l'air de la ville. Senteur d'urine, de crasse se mélangeant à celle du feu de bois et du brouet de racine qui était le quotidien des roturiers. Lui qui, il y a encore quelques jours, n'envisageait la chasse que dans un milieu naturel, prenait contact avec ce qui serait, sans doute, désormais son nouveau terrain de jeu.

Nouveau terrain, et nouvelles règles.

Cette fois, il ne chasserait plus par nécessité de se divertir ou pour réguler la prolifération d'espèce nuisibles.
Il chasserait désormais pour sa survie pure et simple.

Cette fois, il ne chasse plus un quelconque gibier, mais bien des humains, ses semblables. Non. Ses anciens semblables. Ceux dont il avait fait partie...Avant la mort de son fils. Ceux dont il s'était écarté après cela. Ceux qu'il domine à présent, à tout point de vue, mais dont il a pourtant tant besoin pour subsister.

Cette fois, enfin, il ne chassera pas pour tuer...Ni pour dévorer entièrement sa proie et en laisser les restes aux chiens. Il devra simplement prélever, ponctionner sa subsistance. Quelle étrange chasse est-ce là... Rostan se fit, un instant, l'effet d'une lamproie, d'un parasite plutot qu'un prédateur.

La nuit de Novembre était froide et humide, si il avait put en être incommodé, jamais le vieil homme qu'il était ne se serait risque à sortir par un temps pareil, dans les ruelles sombres et dépeuplées par les ténèbres. Mais pour sa nouvelle condition, peu importait. La seule chaleur qu'il pouvait encore espérer était le sang.

Il ne s'était pas rendu compte qu'il avait tant avancé au hasard des ruelles, perdu dans ses pensées, lorsqu'il entendit les rires avinés et les suppliques du jouvenceau. Avait-il d'ailleurs vraiment avancé au hasard ? ou mut par un instinct primal ?

A l'arrière d'une auberge. Les écuries. Ils étaient deux, brutalisant un jeune palefrenier. Pour se divertir, par simple haine ordinaire. Rostan eut l'impression de vivre la scène de l'extérieur. Il sortit des ombres. La froideur de son analyse de la scène le fit un temps frissonner : L'un empestait l'alcool, le garçon était trop jeune. L'autre soudard, la bouche encore grasse, avait semble-t-il préféré la viande à la boisson. Il serait la proie.

Lorsqu'ils le perçurent, les deux brutes s'arrêtèrent dans leur élan, Visiblement refroidis par la vue de la lame battant la cuisse de Rostan. "La proie" fut le plus vif à se reprendre et se jeta sur lui. Il fit les frais d'une technique exotique que le vieil homme d'arme avait appris d'un maure - à ses dépends. Il en serait quitte pour plusieurs semaine avec le bras en écharpe. Il soulagea sa douleur, en même temps que sa vessie, par l'inconscience.

Le plus alcoolisé, hésita un instant, puis s'enfuit éperdu en voyant Rostan faire mine de s'avancer vers lui.

Le jeune homme, un peu abasourdi mais reconnaissant, remercia bien vite ce surprenant barbon autant que la providence avant de s'en retourner à la sécurité de l'auberge.

Rostan, enfin seul avec la proie, traina celle-ci dans les ombres des ruelles, à l'abri des regards indiscrets. Il lui dégagea le cou et mordit à pleine dents. Le goût ressemblait à celui des pâles victimes émaciés de l'élysium, mais en plus fort, en plus riche, relevé d'une pointe d'alcool, pas assez forte cependant pour le rendre gris. Comme il le pensait, la proie avait préféré la viande au vin. La bête était aux anges. Il se la représentait, la tête levée vers le ciel, gueule ouverte et langue tendue pour goutter le sang qui coulait, comme un enfant goutte la pluie qui tombe. Un enfant bestial et monstrueux.

Il lécha la plaie pour faire disparaitre ses traces et reprit sa route.

Après quelques ruelles et détours, il rencontra celle qui complèterait sa chasse pour cette nuit. D'âge mur, le visage marqué par le labeur, elle avait dut être belle dans sa prime jeunesse. A présent, elle affichait la dignité des femmes fortes et fières. Elle était chargée de bois mort, sans doute pour alimenter son feu une fois chez elle, et avait dut trop s'attarder en foret et se laisser surprendre par la nuit.

Elle était nerveuse de devoir évoluer dans les ténèbres, et prudente. Regardant par dessus son épaule régulièrement. Rostan dut déployer patience et discrétion pour ne pas se faire remarquer, ne pas l'effrayer. Mais ce jeu l'amusait. En un sens, il retrouvait l'excitation que la chasse faisait monter en lui autrefois.
Enfin, arrivé dans une impasse sombre, il put agir. Prestement et silencieusement, il se glissa dans le dos de cette nouvelle proie et, tandis qu'il lui enserrait la taille fermement d'un bras, il étouffa son cri de sa main libre. Plongeant alors sans attendre les crocs dans sa chair.

Elle cessa très vite de se débattre pour s'abandonner au plaisir. Son sang avait un gout légèrement aigre-doux. Un délice pour qui, comme Rostan, n'aime pas les desserts trop écœurants.

Là aussi, il prit soin de lécher la plaie et laissa la femme dans la ruelle encore hébétée.

La bête ronronnait, elle et lui étaient repus. La nuit pouvait vraiment commencer.