Guilhem
Messages : 573 Date d'inscription : 13/11/2009
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| Sujet: L'adieu à Artigat Mer 3 Nov - 3:10 | |
| Du sommet de la colline, Thanos distinguait à présent leur destination. La pleine lune soulignait la silhouette trapue d'un château modeste. Une bâtisse d'un seul étage, entourée des levées de terre en guise de remparts -- la famille d'Artigat n'était décidément pas riche, en dépit de sa noblesse. Alors que leurs chevaux avançaient d'un trot lent vers la forteresse, Guilhem constata d'une voix hésitante: "Nous y sommes." Il lança à Thanos un regard soucieux. "Ne... ne les juge pas trop durement. - Je n'en avais pas l'intention." répondit Thanos, soudain troublé. Pourquoi cette demande ? Il était simplement venu pour aider Guilhem. Quant au reste, il avait suffisamment vécu pour attendre avant de juger les hommes, en dépit de leurs paroles, et même parfois en dépit de leurs actes. ... A la porte, un garde à moitié endormi sursauta, l'air effaré, en découvrant la figure de son maître devant sa lanterne. "C'est vous, mon seigneur ? Ah ben çà, pour une surprise, à c't'heure ! J'vais sonner vot'femme... - Merci, Martin." Le sourire de reconnaissance qu'affichait Guilhem s'évanouit sitôt le garde parti. Thanos remarqua qu'il avait l'air fatigué, d'une fatigue profonde, terriblement humaine. Après quelques insants, Thanos compris ce qui rendait Guilhem si humain en cet instant. Le souffle de sa respiration, le rose à ses joues... tout ceci n'avait rien de la pâleur morbide que le jeune homme affichait d'ordinaire. Il voulait vraiment leur faire bonne impression, pensa Thanos avec un pincement au coeur. Pour la dernière fois.
Les deux hommes installèrent leurs montures dans un coin de la pauvre cour de terre battue. Alors qu'ils se dirigeaient vers la demeure de pierre grossière, la porte s'ouvrit, éclairant la cour d'une lueur vacillante. Dans l'encadrement apparut la silhouette d'une jeune femme aux cheveux noirs, bras croisés, lèvres pincées. Elle avait l'immobilité d'une statue. Pourtant cette apparence parfaitement impassible n'était qu'un leurre, Thanos le sentait bien. Car sous la surface, il devinait l'émotion et le doute, sans cesse étouffés et sans cesse ranimés, incapables de s'échapper tant que la femme aux yeux sombres ne prononceraient les mots qui la rongeaient depuis des jours, des années peut-être.
" Bonsoir Blanche." La voix de Guilhem semblait désincarnée, étrangère à son corps. La femme fit un geste qui les invitait à la suivre dans une salle de pierre grise, illuminée par un grand feu qui flambait dans l'âtre. " Tu devais rentrer lundi. " Le ressentiment et le mépris suintaient de ce constat anodin. Reprochait-elle à Guilhem d'avoir mis tant de temps à revenir ? Ou plutôt d'être finalement revenu, en dépit de ce qu'elle espérait ? Les deux peut-être, songea Thanos. Sans rien dire, Blanche amena un peu de vin coupé d'eau qu'elle servit aux deux hommes. Thanos but une gorgée et se rapprocha du feu pour se réchauffer. La coupe à la main, Guilhem restait debout face à son épouse. Après un long moment de pénible silence, il soupira et commença à raconter son histoire, celle qui justifierait son absence, loin d'Artigat, celle qui permettrait de le faire bientôt passer pour mort. Mais comme toujours, il n'arrivait pas à mentir, offrant encore une fois à sa femme les mêmes demi-vérités qu'elle connaissait trop bien et qu'elle ne parvenait plus à accepter: " J'ai été retardé à Toulouse par des évènements qui ont... dépassé ma volonté. " Blanche laissa échapper un bref ricanement de mépris incrédule, et sa moue de dégoût montrait de façon insultante tout le mal qu'elle pensait des paroles de Guilhem. Mais le ton grave de ses paroles la poussa à écouter son mari avec attention. " J'ai fait une rencontre inattendue lors de ma visite à Saint-Sernin. Je sais que tu ne me comprendras pas, mais... disons que j'ai connu une llumination. Des gens m'ont recueilli, et m'ont convaincu que je ne pouvais plus vivre comme... je l'ai fait jadis. Que je devais changer radicalement la façon dont je concevais, dont je menais mon existence. " Thanos remarque dans les yeux bruns de Blanche la surprise, mais aussi l'intérêt. Elle l'aimait encore, pensa Thanos, malgré tout, sinon elle ne souffrirait pas autant. Et dans ses yeux, on pouvait voir une question muette, une question qu'elle n'espérait plus poser, tant elle avait été déçue par le passé. Guilhem allait-il enfin se comporter comme son rang et son statut le lui imposaient ?
Le regard plongé dans sa coupe pour mieux éviter le regard de Blanche, Guilhem finit par ajouter: " Mon ami Thanos m'a convaincu. Il souhaite lui aussi amender sa vie. Nous partons pour Compostelle... " Blanche laissa échapper un cri de surprise. Un pélerinage ? C'était ça ? C'était tout ce qu'il avait en tête ? - Tu irais jusqu'à Jérusalem, ça ne suffirait pas. Dieu ne te pardonnera pas tes péchés. Jamais. " La voix de Blanche tremblait. Les yeux brillants, Guilhem ouvrit la bouche, regarda Thanos, et décida de se taire. Une bûche enflammée s'effondra dans l'âtre, alors que les deux hommes et la femme se toisaient en silence. " Vous croyez-vous son égale, pour juger ainsi... ceux qui sont sur cette terre ?" Thanos avait parlé, pour la première fois, depuis qu'il était entré dans le château d'Artigat. Il n'avait pas pu retenir ses paroles, et à présent il dévisageait Blanche, l'air mauvais. Celle-ci lui répondit en le foudroya du regard, puis elle aboya à l'adresse de Guilhem: " Pourquoi est-ce que tu l'as amené, celui-là ? Tu ne nous as pas assez fait souffrir ? Ton père, ton frère, moi ?" La jeune femme ferma les yeux et porta les mains à sa bouche, comme si elle voulait s'imposer le silence, mais la voix continuait, rauque, obstinée. " Tu n'as donc aucun honneur, Guilhem d'Artigat ? Ou tu crois que je suis tellement bête que je ne comprends rien ? Elle est tombée bien bas, la famille d'Artigat. Jamais, jamais je ne t'aurais épousé, si j'avais su..." La fin de la phrase resta plantée comme une flèche dans la gorge de Blanche, la réduisant finalement au silence. Des yeux clos coulaient des larmes que la jeune femme elle-même n'espérait plus.
Guilhem tenta avec un geste gauche de poser sa main sur l'épaule de celle qui était sa femme. A l'instant où la paume glacée toucha Blanche, celle-ci sursauta, électrisée, pour hurler comme une folle: " Va-t-en... va-t-en et soit maudit ! Soit maudit, Guilhem d'Artigat, jusqu'à la fin de tes jours. Maudit, comme tous ceux qui partagent ton existence. Même morte, jamais je ne te pardonnerai. Même morte, tu m'entends ? Jamais ! Jamais... " Les cris de Blanche résonnaient encore dans la cour quand Guilhem et Thanos quittèrent enfin le château. ... Une fois la forteresse disparue de l'horizon, Thanos osa enfin constater: " Elle se trompe. " Guilhem sortit de la rêverie morose dans laquelle il se complaisait : " Oui, Thanos. " Il laissa échapper un rire amer, un rire d'ironie glacée, le rire surhumain que les anges et les démons doivent parfois connaître en contemplant les efforts désespérés des hommes pour échapper à leur destin. " Oui, elle se trompe." Un silence. " Je n'ai pas attendu ce soir pour être maudit. " Thanos hocha la tête sombrement, repensant à sa maîtresse, à toutes celles, à tous ceux qui l'entouraient, et à l'irruption de Guilhem, la semaine dernière, dans leur cercle, par la faute de Sidor. Mais rien de ce qu'il savait ne l'avait préparé aux paroles du jeune homme. " Voilà dix ans que je suis maudit, Thanos. J'étais déjà maudit en quittant les ruines de Barcelone. Voilà dix ans que je suis mort. Mort avec tous ceux qui ont péri là-bas. "
Thanos et Guilhem rentrèrent à Toulouse sans ajouter un mot. | |
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