Remis de ma surprise, je me décide à faire le tour de la pièce, la scrutant, curieux et assez mal à l'aise de retrouver ici un confort perdu depuis si longtemps. Impossible de dire si je l'apprécie finalement ou non...
*Bah, après tout il va bien me falloir une petite introspection, je suppose qu'une telle ambiance ne peut que m'y aider*
Je souris cyniquement à ma pensée. Même lorsque je m'adresse à moi même ma mauvaise foi me rattrape...
Finalement je m'installe au bureau, trempe la plume dans l'encrier afin de pouvoir prendre des notes, fermes les yeux et commence à méditer.
Patiemment je liste mentalement les sentiments qui m'habitent, un à un je les scrute afin de savoir ce que je veux réellement. Ainsi je vois la haine, noire et féroce grondant en moi, je vois la peur aussi reculée, presque enterrée mais toujours active, je vois l'orgueil, l'acharnement, la colère...Le tout s'agite, se mêle puis se sépare avant de recommencer un manège qui, je m'en rend maintenant compte, dure en moi depuis toujours au presque...
Alors je m'approche, lentement, calmement, meut par la froide détermination qui m'a toujours poussé en avant, le choix fallacieux entre la souffrance et la mort...
Tout devient noir...
La couverture en cuir d'un livre d'Algèbre est rugueuse sous ma main. Derrière moi mon précepteur hurle. Les rides creusées sur son visage de vieillard l'enlaidissent encore plus sous les torsions caricaturales que la colère impose à son visage. Le ton de sa voix m'irrite, ne me pousse pas à me "remuer" comme il l'espère sans doute mais, au contraire, me plonge graduellement dans l'ennui je-m'en-foutiste le plus profond. Il ne s'en rend pas compte, trop imbu de sa personne et de son savoir pour se remettre en cause, préfère rejeter la faute, me frappe sèchement derrière le crane. Je soupire et cet air qui est expulsé de ma gorge fait un bruit rauque et mat.
Le temps de m'en étonner et je repose ma cuillère en bois près du bol de brouet que la servante m'a apporté.Il était chaud et m'a fait du bien mais je sais que, comme toujours, cela ne durera pas. Dans quelques minutes tout au plus, les torsions se feront à nouveau sentir dans mon ventre, rappelant à mon esprit le déséquilibre qui existe dans mes humeur et qui se traduit extérieurement par ce visage qui se couvre chaque jours un peu plus de plaques et de furoncles. Cette brave Aloi n'a même pas pu me regarder en entrant dans la pièce. La brulure me gagne à nouveau, je serre les dents. Au dehors j'entends mes parents parler avec la domestique qui leur dit que je tient étonnement bien le coup. Il disent ne plus savoir comment s'en sortir. Nouvelle crise aiguë de douleur et mon matelas est marqué par mes ongles. Je perd finalement conscience.
Alors que j'ouvre les yeux la douleur s'est estompée et une créature poilue me dévisage d'un air mauvais. Un tri dans mes idées se fait et la peur me me prend. Un rat! Je tente de soulever le bras pour le chasser mais la sanction est immédiate : la foudre me traverse de part en part; je sombre à nouveau, bercé par le grognement sourd d'un chien noir que j'ai juste le temps de remarquer.
Puis tout s'enchaine plus vite.
Le gout infâme d'un rat.
Le contacte poisseux du sol sur lequel je m'endors.
Un coup de bâton.
Quelques pièces
Un premier mort.
Un souvenir. Mes parents me hurlant dessus, le matelas couvert de mes larmes et de mon sang mêlé. Mes muscles tendus, crispés à l'extrême, la colère, la haine, la honte. Ma respiration s'accélérant, mon souffle rauque, chargé d'humeurs diverses, mon cri, la sensation oubliée de mes poumons se gonflant et se dégonflant frénétiquement, le crissement grave du matelas sous mes doigts, la pièce mal éclairée, l'écritoire...
Doucement je reprend conscience de mon corps, de ma cape en laine sale, de l'écritoire devant moi portant désormais des traces de griffes, de la nausée qui s'est emparée de moi.
Je déambule lentement vers le pot de chambre et y vomit un peu de sang. Je n'ai aucune idée du temps passé ainsi mais je sens que j'ai besoin de repos. Le temps de gribouiller quelques notes sur ce que j'ai vécu et je m'en vais vers la chambre. La leçon d'aujourd'hui sera la plus importante de toute. La seule volonté qui compte est la mienne ma voie sera celle des objectif personnel et de leur accomplissement. Elle sera celle qui pousse a donner un sens à ma non vie sans avoir à le chercher à travers les autres. Elle sera celle de l'éternité.