Le jour de ses dix-sept ans était enfin arrive, enfin c’est le mot qui sortait a profusion des lèvres du père d’Alice, le jour de son mariage. Son père, Jacques De Rosselhon ne voyait dans ce mariage que réjouissance, il était notable, issu d’une famille de petite noblesse et n’avait a présent plus que son frère ainé, qui était entre autre responsable de sa ruine. Car celui-ci avait pris la fièvre du jeux et était devenu oisif. Malheureusement sa fortune ne lui suffit pas et eut assez vite recours a celle de son frère Jacques en mettant a profit leurs liens fraternels. Le père d’Alice s’en eut toujours voulu d’avoir si facilement céder aux demandes de son ainé et voyait dans ce mariage une façon de se racheter en offrant la vie luxueuse dont sa fille aurait du jouir. Mais la jeune fille n’était pas aussi pressée que lui de s’unir a ce Guillaume, fils du marchand de la ville ayant fait récemment fortune. Mariage arrange, mariage d’intérêt...comme ces mots sonnaient mal aux oreilles de la future mariée, mélancolique et consciente qu’elle quittera dans quelques heures a peine cette chambre si chargée de souvenirs, remplie de sa propre vie... et de celle de l’éternelle enfant Lys-yan.
Alice, assise sur le bord de la fenêtre, laissait son corps froid se faire réchauffer par les doux rayons du soleil de juin faisant par la même occasion chatoyer ses cheveux châtains qui atteignait maintenant une longueur des plus extravagante, faussement apaisée par cette tranquillité apparente, son regard se baladait sur sa chambre qui ne deviendra bientôt, elle aussi, plus qu'un souvenir lorsqu’elle devra la quitter pour partager la couche de cet homme immonde et rustre. Ses yeux s’arrêtèrent sur les deux lits siégeant cote a cote comme si ce ne fut qu’un seul lit bien qu'une partie fut presque recouverte de poussière alors que l’autre était apparemment fréquemment utilisé.
Lys-yan... « Grande sœur ! »
A quand cela remonte-t-il maintenant ? six ans ? ou bien sept peut-être... Lasse, Alice tourna son regard vers la grande terrasse vide puis vers le puits qui y siégeait fièrement, entoure de toutes parts de mauvaises herbes qui a force de s’acharner a pousser et repousser avait terni jusqu’à détruire la volonté, pourtant pas si faible, du vieux jardinier.
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Les feuilles des arbres du parc prenaient des couleurs rouges, oranges et même jaunes, certaines même ne daignaient plus se tenir sur l’arbre qui les portait pourtant depuis leur naissance et dédaigneuses s’envolaient avec la légère brise pour finir par recouvrir le sol pavé de la grande terrasse. Hélas pour elles, le jardinier n’était pas d’accord avec le fait qu’elles s’installent ici et d’un coup de balai, lent mais bien efficace, envoyait les feuilles sur un gros amas de leur sœurs tombées, elles, un peu plus tôt.
Mis a part ce jardinier en train de se battre contre d’imaginaires ennemies, il se trouvait deux petites filles, assisses côte à côte sur un vieux puits. Des jumelles, cependant l’une portait les cheveux très court a la façon garçonne et l’autre avait l’air d’une poupée de porcelaine entourée de belles et longues boucles d'un châtain clair pendantes de chaque côtés de son visage.
Sans un bruit l’enfant aux cheveux courts descendit de son perchoir et y dénicha un escargot dont le seul but était de partir loin de ces humains. L’escargot a la main, elle se faufila, faisant autant de bruit qu’un fauve en pleine chasse, jusqu'à la hauteur de sa cible, posa délicatement l’escargot avant de reculer vivement devant les mouvements maladroits et effrayés que fit le jardinier cherchant énergiquement dans son pourpoint une chose qui n’y serait pas a sa place. Devant ce spectacle la petite fille aux boucles restée sur le puits éclata de rire tandis que sa sœur revenait vers elle l’air triomphant.
Leurs journées étaient sans cesse remplies de divertissement de ce genre et passaient rapidement sans aucune peine.
Cette fois-ci la neige était arrivée, excitées comme des enfants en face d’un nouveau jeu, a peine furent-elles habillées que leur pieds foulait déjà la neige. Ce ne fut pas la rudesse du froid qui les fit reculer, elles s’enfoncèrent de plus en plus loin dans le jardin et à cause de ce paysage si subitement changé, elles ne remarquèrent pas les limites de leur jardin et pénétrèrent dans la campagne inconnue.
« _Grande sœur !
L’enfant aux cheveux courts et trempés se retourna avec un sourire chaleureux gravé sur son visage.
_ Oui Lizzie ?
_ Tu es sure de savoir ou on vas ? Lilly, je ne vois plus la maison...
La petite fille aux boucles commença a pleurer et resta figée sur place les yeux clos. Alice habituée a la peur de l’inconnu de sa sœur, s’approcha d’elle et lui prit les mains en la forçant a la regarder.
_ Ma petite Lys-yan, je sais très bien ou je vais,tu ne te souviens que un peu après notre maison il y a cette belle rivière qui traverse la vallée? n’as tu pas envie de la voir avec ce temps magique ? tant que tu seras avec moi tu ne risqueras rien ! Allez viens ! »
Alice lâcha les mains parsemées de gelures de sa sœur pour s’élancer a nouveau a la poursuite de l’inconnu.
Lys-yan s’empressa de la suivre mais un mauvais pas lui fit dévaler la pente raide qui menait au cœur de la vallée, cette pente malicieusement cachée par la pâleur constante de la neige.
Alice se retourna des que le cri de terreur de sa sœur lui parvint mais la distance qui les séparait l’empêcha d’être d’un quelconque secours et ne put que se contenter de voir sa sœur glisser a toute vitesse vers la rivière que l’on pouvait a présent distinguer en contrebas.
Il se passa bien dix minutes avant qu’Alice ne put trouver un chemin sûr pour descendre secourir sa sœur,elle descendait le plus vite qu’elle pouvait secouée de temps a autre par de violents sanglots, l’horreur de l’évènement avait complètement chamboulé son raisonnement, d’habitude si sure de ce qu’elle devait faire elle se retrouvait a présent seule et désespérée. Elle perdit encore vingts minutes a chercher sa sœur sur les rivages comme dans l’eau et quant elle la vit, ses cris ne la firent pas réagir, elle restait couchée sur le rivage les vêtements trempés. Terrorisée comme peut l’être une enfant de dix ans devant ce spectacle, elle se débattit dans ses propres vêtements en tentant de lui en donner de plus sec malheureusement avec le temps qu’elle avait passé dans la neige a trouver un chemin, ils avaient également fini par être trempés. Lys-yan respirait faiblement mais refusait obstinément d’ouvrir les yeux devant l’appel de sa sœur, sans attendre plus longtemps Alice la mit sur son dos et s’empressa de retrouver le chemin de la maison.
Les jours passèrent, les docteurs venaient chaque jours; leur père n’ayant pour fortune que son nom estimé de tous, certains docteurs acceptaient volontiers de venir voir sa fille alitée sans demander d’argent en retour mais ce n’étaient que des médecins médiocres qui ne recommandaient que la saignée ayant pour seule conséquence de faire de plus en plus pâlir la petite fille.
Alice n’était pas autorisée a entrer. Elle restait assise sur le sol au pas de la porte derrière laquelle sa sœur mourait lentement, le visage collé contre ses genoux, elle attendait.
Un jour son père laissa la porte ouverte derrière lui et lui intima de rentrer, son lit était toujours côte a côte avec celui de sa sœur, rien n’avait changé... a part le drap blanc recouvrant le corps inerte de Lys-yan. L’enfant s’avança puis arrivant à la hauteur du visage de sa défunte sœur releva doucement le drap, le choc la bloqua dans ce geste.
Elle ne vit pas sa sœur mais elle-même, morte sur ce lit.
Les médecins avaient coupé les cheveux de Lys-yan quelques jours auparavant pour que la fièvre n’empire pas.
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Quelqu’un frappa a la porte. La mère d’Alice, tout aussi satisfaite de ce mariage que son époux, entra pleine de joie avec à la main le voile de mariée, suivie de près par le père portant délicatement la robe qui dans une autre situation aurait fait pousser des soupirs d’aise a la jeune demoiselle devant le nouveau luxe qu’allait lui apporter cette alliance. Toujours assise sur le bord de la fenêtre, elle regarda une dernière fois le vieux puits en caressant ses cheveux tombant en belles boucles, avant de se lever pour s’avançer vers son futur que lui tendait si fièrement ses parents.